La priorité doit toujours être la sécurité des individus !
Enjeux sanitaires et économiques, dialogue social en entreprise et rôle des partenaires sociaux : face à la crise majeure liée au coronavirus, François Hommeril, président de la CFE-CGC, fait le point sur la situation.
Le pays fait face à une crise sanitaire majeure qui se double d’une crise économique. Comment concilier, en entreprise, la sécurité des salariés et les impératifs d’activité ?
Nous sommes dans une période extraordinaire, au sens propre du terme. C’est déjà une épreuve personnelle car chacun est confronté à des craintes légitimes pour soi-même, sa famille et ses proches. Les conditions de confinement sont qui plus est très variables. En entreprise, cette crise met à l’épreuve de façon très aiguë la responsabilité des représentants du personnel vers qui les salariés se tournent afin de créer les conditions d’une zone de confiance.
C’est dans ces situations difficiles, voire extrêmes, que le rôle d’élu du personnel et la responsabilité qui y est attachée prennent tout leur poids. Les élus se trouvent confrontés à ce qu’il y a de plus central dans leurs missions. Sur le plan sanitaire, ils interpellent et travaillent de manière constructive avec les directions – parfois larguées – sur l’adaptation du poste du travail, sur la catégorisation des urgences et des activités indispensables. Sur le plan économique, les conséquences en chaîne vont s’inscrire dans le temps long vu les énormes et multiples impacts. Là aussi, les élus du personnel sont sollicités pour travailler à la sauvegarde, à la continuation ou au renforcement des activités. Plus que jamais, nous avons besoin d’intelligence collective.
Aller travailler ou rester chez soi est un dilemme pour beaucoup de salariés qui ne peuvent pas télétravailler…
En temps normal, la confiance et le sens au travail sont les deux critères clés. La CFE-CGC s’en fait l’écho depuis des années. À l’occasion de cette crise, ces notions sont exacerbées. Chacun a, au plus profond de lui, un sens inné de sa responsabilité vis-à-vis du fonctionnement de la société. C’est manifeste, en particulier pour les professionnels de santé mais aussi dans la production agricole, la distribution alimentaire, les services bancaires, les transports, les agents de la fonction publique réquisitionnés et bien d’autres encore. Cela met en lumière la nécessité pour chacun de connaître, de comprendre et d’évaluer le sens de son travail ainsi que sa place dans l’organisation du travail. Pour cela, il est impératif de protéger les salariés qui sont les plus exposés en créant les conditions de confiance sanitaire dans l’exercice des activités.
« Les élus de terrain sont les mieux placés, en entreprise, pour apprécier toutes les situations spécifiques. »
Dans ces circonstances, comment faut-il aborder la problématique du droit de retrait ?
Il est tout à fait normal, dès lors que des salariés ne se sentent pas suffisamment en confiance et en sécurité pour aller travailler, que les représentants du personnel invoquent le droit de retrait. C’est le rôle des syndicats et des sections syndicales. Au-delà, il ne faut pas en faire des éléments de conflits. Il s’agit de considérer que c’est un point de départ pour discuter avec la direction afin de mettre en place les moyens les mieux adaptés à la continuation de l’activité. La priorité doit toujours être la sécurité des individus. Or les élus de terrain sont les mieux placés, en entreprise, pour apprécier toutes ces situations spécifiques. Je sais combien, des remontées qui me parviennent du terrain et de nos fédérations, combien nos sections syndicales et nos militants sont en première ligne, et pas seulement dans les grandes entreprises.
Le projet de loi d’urgence sanitaire et de mesures d’urgence économique, prévoyant des mesures dérogatoires en matière de droit du travail, a été adopté au Parlement le 22 mars. Quel regard portez-vous sur les premières mesures gouvernementales ?
Chacun prend ses responsabilités, le gouvernement comme les partenaires sociaux. Les responsables syndicaux sont d’ailleurs en contacts réguliers avec l’exécutif, que ce soit le Premier ministre, la ministre du Travail ou celui de l’Économie. Plus qu’à un cadre d’urgence et donc de dérogations exceptionnelles pouvant générer des confusions et des injonctions contradictoires, il faut toujours faire confiance aux partenaires sociaux quant à leurs capacités, maintes fois démontrées, à trouver les solutions adaptées sur le terrain.
Sur les mesures d’urgence économique, il faut éviter de reproduite les erreurs consécutives à la crise financière de 2008. Il convient notamment de recourir au chômage partiel pour maintenir les compétences en entreprise et donc faciliter le redémarrage de l’activité. La vigilance doit aussi être de mise sur les modalités de règlements des charges de sous-traitance et sur les dispositifs d’avances de trésorerie permettant de payer les salaires.
« C’est seulement dans le cadre du dialogue social qu’émergeront les bonnes solutions. »
Quid de la possibilité d’autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés ?
Ce genre de dérogation génère automatiquement de la frustration car on empêche l’adhésion concertée, des salariés et de leurs représentants, à une réponse adaptée pour l’ensemble de l’entreprise. Ce sujet doit être discuté avec les partenaires sociaux de terrain, au plus proche de l’activité. C’est seulement dans le cadre du dialogue social qu’émergeront les bonnes solutions.
Sur ce sujet du chômage partiel, qu’en est-il des cadres au forfait-jours ?
Il y avait là une problématique sachant que jusqu’à présent, les cadres au forfait-jours ne bénéficient du chômage partiel qu’en cas de fermeture de l’entreprise, mais pas en cas de réduction d’activité. Nous avons donc sollicité Muriel Pénicaud et la CFE-CGC a obtenu satisfaction puisqu’un décret officiel vient de corriger le dispositif. Restent en suspens les questions touchant à la conversion des jours en heures. Nous attendons une circulaire pour y répondre.
Il subsiste, enfin, une zone de flou concernant les salariés « cadres dirigeants » – sans référence horaire, ils se voient exclusivement appliquer les règles relatives aux congés payés – pour qui on ne sait pas s’ils peuvent bénéficier du dispositif d’activité partielle.
L’ensemble des organisations représentatives syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) et patronales (Medef, CPME, U2P) ont signé une déclaration réaffirmant, face à la crise sanitaire, le rôle essentiel du dialogue social et de la négociation collective. C’est un signe fort ?
Cette déclaration commune est importante, appelant les pouvoirs publics et les entreprises à mettre en œuvre tous les moyens indispensables à la protection de la santé et de la sécurité des salariés devant travailler. Les partenaires sociaux ont également souligné le rôle majeur de nos systèmes de protection sociale collective, garants de la solidarité entre toutes et tous.
Quels messages souhaitez-vous faire passer aux militants CFE-CGC ?
Il s’agit, en cet instant précis, d’être plus exemplaire que jamais, dans le discours et les attitudes : se protéger et protéger les collègues, appliquer les consignes de sécurité, être force de proposition, revendiquer et toujours porter le même niveau d’exigence pour le collectif. Si la CFE-CGC continue, année après année, de progresser en entreprise, c’est grâce à la qualité de ses militants et de son offre syndicale.
« En finir avec l’impasse dans laquelle nous mène la gestion par les coûts. »
Quels premiers enseignements peut-on tirer de cette crise ?
Je ne crains qu’une chose : que l’on n’ait pas suffisamment de mémoire quand le moment sera venu d’en tirer toutes les conclusions, une fois la crise sanitaire terminée. Celle-ci ne fait que renforcer les analyses portées par la CFE-CGC sur l’impasse dans laquelle nous mène la gestion par les coûts. Je pense en particulier à la situation scandaleuse de l’hôpital public et à la nécessaire relocalisation de certaines de nos activités.
L’examen parlementaire du projet de loi gouvernemental sur la réforme des retraites a été suspendu. Doit-elle être abandonnée ?
Pour moi, c’est très clair : cette réforme inutile et dangereuse, à laquelle s’oppose la CFE-CGC, doit rester au placard. Nous verrons ce que l’exécutif projette de faire à la rentrée mais ce serait une faute impardonnable que de remettre sur la table ce grand motif de discorde sociale alors que nous aurons tant de défis collectifs à relever au sortir de la crise.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet